Projet de décret portant diverses dispositions relatives aux mesures de protection des espèces animales non domestiques et végétales non cultivées
AVIS DEFAVORABLE :
L’association Vétérinaires Pour la Biodiversité (VPB) exprime une profonde et vive inquiétude face à ce projet de décret, qui non seulement traduit le déclassement du loup dans le droit français, facilitant ainsi sa destruction, mais ouvre la porte au déclassement d’autres espèces strictement protégées, telles que l’ours, le lynx ou les vautours.
1. Un recul vis-à-vis du Plan National d’Actions « Loup et activités d’élevages » et des recommandations du CNPN
Dans son avis du 19 octobre 2023 sur le Plan National d’Actions « Loup et activités d’élevage » 2024-2029, le Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN) s’est unanimement opposé à tout affaiblissement du statut de protection. Il a rappelé que les efforts doivent prioritairement porter sur la généralisation et le renforcement des mesures de protection des troupeaux, plutôt que sur une dérégulation et une augmentation des tirs létaux (2020, Meuret). Ignorer ces recommandations reviendrait à affaiblir le cadre d’une coexistence en construction depuis 30 ans avec les éleveurs, et à fragiliser la politique nationale de conservation en créant un dangereux précédent.
2. Un précédent dangereux pour toutes les espèces protégées
En 2023, le CNPN a déjà mis le gouvernement en garde contre les conséquences qu’aurait une modification du statut du loup, en soulignant qu’un tel changement créerait une brèche majeure dans la politique de conservation. Une telle décision risquerait d’entraîner à terme des reculs similaires pour d’autres espèces strictement protégées par la directive Habitats, comme l’ours, le lynx, le castor ou les vautours (2024, Ordiz et al.). Elle affaiblirait ainsi l’ensemble de la stratégie de protection de la biodiversité en France et en Europe, alors même que les engagements internationaux de la France appellent à la renforcer.
3. Une menace pour l’équilibre des meutes avec des répercussions potentielles sur l’élevage
En affaiblissant le statut de protection du loup, ce décret entend faciliter les tirs létaux alors même que 20 ans de mise en pratique sur le terrain et les connaissances scientifiques actuelles montrent que leur efficacité reste incertaine (2025, Merz et al.) et qu’elle est fortement liée au contexte local (2023, Grente). En effet, ces tirs peuvent désorganiser les meutes établies, entraînant des comportements de dispersion soudains et par conséquent une augmentation des attaques désordonnées sur le bétail par des individus se retrouvant isolés. Ainsi pour être efficaces, les tirs létaux doivent rester un moyen de dernier recours mis en place de manière ciblée, rigoureuse et contrôlée. Pour ce faire, il est essentiel de maintenir un fort statut de protection sur l’espèce, au risque de nuire à son état de conservation via des tirs létaux opportunistes et incontrôlés. Il est donc important de privilégier les techniques d’effarouchement en première intention. Une étude est en cours sur les tirs d’effarouchement non létaux. La destruction par des tirs des loups impliqués dans cette étude (facilitée par ce décret) serait d’ailleurs contreproductive.
4. Un choix politique non écologique
Ce projet s’inscrit dans une logique de réponse politique sous la pression de certains groupes, plutôt que dans une approche scientifique et écologique. Il est peu probable que ces décisions dictées par l’opportunité politique apportent une réponse satisfaisante à court terme, et elles ignorent totalement les enjeux de long terme : équilibre de la biodiversité, santé des écosystèmes, adaptation au changement climatique.
Le PNA « Loup et activités d’élevage » validé et renouvelé par l’Etat, repose sur des années d’expériences, d’ajustements et de concertation avec les acteurs du terrain, y compris les éleveurs. Dans les Alpes, les efforts de coexistence entre élevage et loups sont une réalité depuis plus de 30 ans (2020, Meuret). Elle n’est certes pas exempte de tensions ni de souffrances, mais elle s’accompagne de dispositifs de protection concrets dont l’efficacité a été prouvée : aides bergers, chiens de protection (dont les standards d’éducation progressent), filets électrifiés, et surtout présence humaine et médiation pastorale.
Certes, les moyens de protection apportent leurs propres difficultés, notamment avec des conflits d’usage de plus en plus fréquents. En effet, la gestion des loups n’est pas une question binaire, mais une question complexe de compromis méthodiques (2018, Linnell and Cretois). Mais c’est aussi une opportunité de redéfinir notre rapport au Vivant et de revaloriser la filière pastorale et le métier de berger, tous deux en déclin face à la mondialisation des échanges. Il est essentiel de maintenir une approche équilibrée et rationnelle, à la fois respectueuse des éleveurs et soucieuse de la biodiversité (2018, Landry ; 2020, Meuret). VPB salue et soutient notamment le sérieux et la rigueur scientifique du travail de suivi de la population des loups en France coordonnée par l’OFB (2025, Milleret et al.), et encourage la poursuite de travaux de recherche visant à trouver des solutions pour une coexistence apaisée. A l’ère du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité, nos sociétés doivent s’adapter et préserver les écosystèmes sur lesquelles elles reposent : on ne construit pas la résilience des territoires en opposant nature et activités humaines, mais en les réconciliant.
Conclusion :
VPB appelle les pouvoirs publics à renoncer à ce projet de décret visant à fragiliser le statut de protection du loup et d’autres espèces encore strictement protégées. VPB appelle également l’Etat français à renouer avec une vision d’ensemble, à suivre les recommandations des scientifiques et du CNPN, dans une approche pluridisciplinaire, qui œuvrent chaque jour à bâtir des solutions durables et non des oppositions de circonstance.
Les enjeux environnementaux (climat, biodiversité et pollutions) sont les véritables défis du XXIème siècle. Il n’est plus temps de tergiverser et de faire marche arrière en matière de protection de la nature. En ce sens, la gestion de la prédation entre les loups et les activités d’élevage est un symbole. A nous, en tant que société, de nous montrer à la hauteur de ces enjeux.
Bibliographie :
CNPN 2023. Avis sur la révision du Plan National d’Actions Loup et activités d’élevage.
GRENTE O., DUCHAMP C., BAUDUIN S., CHAMAILLÉ-JAMMES S., DROUET-HOGUET N. & GIMENEZ O. 2023. - Tirs dérogatoires de loups en France : évaluation des effets sur les dommages aux troupeaux. Naturae 2023 (5): 65-73. https://doi.org/10.5852/naturae2023a5
LANDRY J-M. 2018 – Le Loup. 368p.
LINNELL, J. D. C. & CRETOIS, B. 2018, Research for AGRI Committee – The revival of wolves and other large predators and its impact on farmers and their livelihood in rural regions of Europe, European Parliament, Policy Department for Structural and Cohesion Policies, Brussels
MERZ L.M. et al. 2025. - Elusive effects of legalized wolf hunting on human-wolf interactions. Sci. Adv. 11, eadu8945 (2025)
MEURET M. 2020. - Wolves and livestock farming in France: an assessment of 27 years of coexistence. INRAE
MILLERET C. et al. 2025 - Estimating wolf population size in France using non-invasive genetic sampling and spatial capture–recapture models.
ORDIZ A., CANESTRARI D., ECHEGARAY J. 2024. - Large carnivore management at odds: Science or prejudice? Global Ecology and Conservation 54 (2024) e03202 https://doi.org/10.1016/j.gecco.2024.e03202
OSTERMANN-MIYASHITA E-F. et al. 2024 - Bridging the gap between science, policy and stakeholders: Towards sustainable wolf-livestock coexistence in human-dominated landscapes. British Ecological Society, People and Nature. DOI: 10.1002/pan3.10786