Interview d’Arnaud Greth, Président de Noé, vétérinaire défenseur du vivant

Arnaud Greth, vétérinaire engagé dans la défense du vivant, a créé l’association Noé, il y a plus de 20 ans, pour sauvegarder et restaurer la biodiversité. Il nous livre son témoignage.

Arnaud, racontez-nous votre parcours de vétérinaire acteur pour la biodiversité au travers de l’association Noé ?

Atteint par le « syndrome Daktarien », je suis entré à l’École Nationale Vétérinaire de Nantes (ENVN) en 1982, avec l’intention de m’engager pour la sauvegarde de la faune sauvage (on ne parlait pas de biodiversité à l’époque !). Mon engagement s’est vite traduit concrètement. J’ai assumé la Présidence du club ornithologique de l’ENVN, et j’ai créé, avec un groupe d’amis, le Centre de Soins de la Faune Sauvage de l’Ecole, qui est devenu aujourd’hui une grosse structure. A la sortie de l’école, j’ai suivi une formation complémentaire, un Diplôme d’Études Approfondies en Écologie, à l’École Normale Supérieure à Paris. Nous avons aussi créé, avec 3 autres amis vétérinaires, l’ARDEA, l’Association pour la Recherche et la Diffusion de l’Écologie Animale. Avec cette association, nous avons mené deux projets de terrain, sur l’Ibis rouge en Guyane française et sur le Phoque moine en Méditerranée.

En 1988, j’ai eu l’opportunité de partir, en tant que Volontaire du Service National, comme vétérinaire au National Wildlife Research Center en Arabie Saoudite, et de m’investir pour la sauvegarde de la faune désertique, et en particulier de contribuer à la réintroduction de l’Oryx d’Arabie. Une expérience formatrice et passionnante ! Je suis resté 5 ans en Arabie, ce qui m’a permis de publier de nombreux articles scientifiques sur la faune sauvage et de m’investir sur des programmes de conservation majeurs. Retour en France en 1993 où je rejoins l’équipe du WWF-France puis du WWF-International, comme chef de projet du Complexe d’Aires protégées de Gamba, au Gabon. Puis retour en France, pour prendre la direction des programmes du WWF-France, où j’ai créé une équipe multidisciplinaire pour répondre aux nombreuses priorités du WWF, du climat à la sauvegarde des océans, en passant par l’agriculture durable.

Après cette expérience professionnelle intense, en 2001, j’ai ressenti le besoin de me recentrer sur mes premières amours, la sauvegarde des espèces menacées (l’arche de Noé !) et de la biodiversité, en créant l’association Noé. Aujourd’hui, Noé est une ONG internationale, avec un programme national de restauration de la biodiversité ordinaire, et un programme international centré sur la conservation et la gestion des Aires Protégées, dans 5 pays d’Afrique et de l’Océan Indien, avec un budget annuel de 12 M€, et environ 400 collaborateurs.

Un éléphant a été victime d’un piège dans le Parc national de Conkouati-Douli. Blessé, il a été pris en charge et soigné grâce à nos équipes.

Mission de pose de collier GPS à un éléphant du Parc national de Conkouati-Douli par un vétérinaire afin de mieux les suivre et les protéger. @Thomas Nicolon

Quelles sont les principales pressions qui menacent la biodiversité en France ? Quelles sont vos priorités d’action pour pouvoir lutter efficacement contre ces pressions ?

En France, il y a des signes positifs sur beaucoup d’espèces menacées dont les populations se reconstituent (comme les grands carnivores, les vautours, la loutre, le castor par ex.). De même le réseau d’espaces protégés, indispensable, se développe et se structure. Par contre, la biodiversité ordinaire, autour de nous, s’effondre, on le voit pour les populations d’oiseaux agricoles, des chauves-souris ou des insectes pollinisateurs. Les écosystèmes dysfonctionnent et n’apportent plus les biens et services écologiques. En France, Noé se concentre sur la restauration de la biodiversité, dans les milieux naturels, agricoles et urbains. Nos équipes œuvrent également à reconnecter l’humain à la nature grâce à des programmes de sciences participatives. Ces programmes visent à participer à la recherche scientifique tout en permettant aux citoyen.ne.s de se reconnecter à la nature et de mieux la connaitre pour mieux la protéger. En Afrique, Noé protège 90 espèces menacées dont les espèces emblématiques du continent telles que le gorille, le chimpanzé, la girafe, l’éléphant… et 2,9 millions d’hectares de biodiversité où ces espèces trouvent refuge.

Quelles sont les espèces sauvages menacées en France qui vous préoccupent le plus ? Pourquoi ?

Les insectes pollinisateurs sauvages, dont l’abeille domestique est une sentinelle précieuse, jouent un rôle majeur dans nos écosystèmes. Leur déclin dramatique est le signe de la santé dégradée de nos écosystèmes. Il est urgent de restaurer la diversité, la naturalité, et favoriser la connectivité de nos milieux naturels. Et pour cela la mobilisation de toutes et tous est essentielle. Redonner de la place à la nature, et mettre en place les bons éco-gestes, c’est se voir récompenser rapidement par le retour des papillons, et de la petite faune. C’est très gratifiant !

Mais évidemment toutes les espèces de faune et de flore m’intéressent ! Je suis particulièrement séduit par le mouvement de réensauvagement en France. Réintroduire l’Ibis chauve, le bison ou le Cheval de Przewalski, laisser de grands territoires de nature en libre évolution, créer des corridors entre ces territoires , c’est un des enjeux majeurs de notre combat pour la France de la nature du 21ème siècle, et c’est possible ! Considérés comme « nuisibles », 500 000 renards sont tués en France chaque année au titre de la réglementation sur les Espèces Susceptibles d’Occasionner des Dégâts (ESOD). Qu’en pensez-vous ? Comment peut-on agir collectivement pour faire entendre notre voix et stopper ce massacre ? Traiter le renard comme un « nuisible » est évidemment un contresens écologique, quand on sait que ce petit carnivore, en plus d’être une espèce inoffensive et attachante, est évidemment un auxiliaire précieux des cultures, vu son rôle majeur de régulation des rongeurs. Le renard est le symbole du nouveau partenariat qu’il faut réinventer avec le vivant. A nous collectivement de faire changer le regard de la société vis-à-vis de ces prétendus « nuisibles ». Il faut s’opposer aux textes de lois et arrêtés préfectoraux, par des actions en justice, en y associant beaucoup de pédagogie et de bon sens. Par leur formation en biologie et leurs contacts avec le monde rural et le grand public, les vétérinaires sont des acteurs légitimes et de premier plan pour faire passer ce message !

Face aux enjeux de protection de la biodiversité et de conservation des espèces sauvages, quel peut être le rôle des vétérinaires ?

Ce n’est pas un hasard si le Conseil d’Administration de Noé compte 4 vétérinaires parmi ses 12 membres. Les vétérinaires, à l’interface de la vie animale et du grand public, sont les mieux placés pour porter un message de protection animale et de respect des autres êtres vivants (les « non-humains » comme on les appelle maintenant !), et se mobiliser comme défenseurs de la faune sauvage et de la nature. Noé accueille avec beaucoup d’intérêt l’initiative Vétérinaires Pour la Biodiversité qui veut rassembler et motiver les acteurs de la santé animale autour des enjeux de la santé globale (santé animale, humaine et environnementale). Cela répond en plus à une aspiration de notre société, vers plus de nature, de sauvage, de biodiversité, parce que nos vies sont liées ! (Pour en savoir plus : https://noe.org/)

Un Azuré du Thym, observé dans le cadre de l’Opération Papillons, notre programme de sciences participatives sur ces pollinisateurs sauvages