Les BIG FIVE de la surpêche
BLOOM publie deux enquêtes inédites sur un système de prédation des ressources marines et des fonds publics organisé par cinq géants industriels néerlandais, désignés les « Big Five », qui se déploie dans l’océan mondial.
La première enquête, réalisée avec le consortium de journalistes d’investigation néerlandais Spit, reconstruit pour la toute première fois l’empire tentaculaire et opaque de cinq groupes industriels néerlandais, les « Big Five », qui sous des apparences de concurrence ont en réalité partie liée par des intérêts financiers communs au sein de plus de 400 filières. Les Big Five possèdent 230 navires, pratiquant tous, sauf un, les pêches les plus destructrices : chalutage pélagique, chalutage de fond et senne démersale. Ces Big Five, les entreprises Parlevliet & Van der Plas (P&P), Cornelis Vrolijk, Van der Zwan, Alda Seafood et la famille De Boer, forment un oligopole extrêmement puissant qui domine la pêche européenne, capte les quotas de pêche au détriment des pêcheurs artisans et pose de graves problèmes au bon fonctionnement des démocraties par le contrôle qu’il exerce sur les décisions publiques. En France, les Big Five ont stratégiquement investi en Bretagne et à Boulogne-sur-Mer par le biais de leurs filiales françaises. Avec 24 navires, ils contrôlent une partie importante des quotas de pêche français.
Cette investigation révèle également comment, face à l’épuisement progressif des populations de poissons, dont ces entreprises sont en grande partie responsables, plusieurs de ces géants de la pêche redirigent leurs investissements vers l’immobilier, dans une logique extractive néfaste à l’opposé de la gestion durable auxquelles les pêches européennes doivent obligatoirement se plier.
La seconde enquête est une analyse inédite des subventions publiques attribuées aux armateurs néerlandais dans le cadre du Brexit. Elle révèle comment les fonds publics européens ont été captés par les Big Five et utilisés pour éponger les pertes liées au chalutage et casser les navires ayant massivement pratiqué la pêche électrique avec des licences et des fonds illégaux. Ces aides interviennent dans un contexte où le gouvernement et les industriels néerlandais se battent pour obtenir une ré-autorisation de l’usage de l’électricité à bord des navires, le seul artifice technologique leur permettant d’attraper les poissons jusqu’au dernier et de retarder le moment de leur disparition programmée. L’argent des contribuables européens servira donc à démanteler des chalutiers électriques (61,5 millions sur un fonds de 135 millions), interdits en 2021 et majoritairement illégaux. Mais ce ne sont pas les seuls gagnants du fonds Brexit.
Six navires-usines, mesurant entre 94 et 142 mètres et appartenant tous aux Big Five ont à eux seuls touché 22,6 millions d’euros au titre « d’arrêts temporaires », une rafle potentiellement illégale : les analyses révèlent que ces navires-usines n’ont pas du tout réduit ou cessé, même temporairement, leurs activités de pêche. En effet, leur temps passé à quai est resté globalement inchangé par rapport aux années précédentes. Ces six navires-usines avaient en outre bien obtenu une licence pour pêcher dans les eaux britanniques.
Les investigations montrent que le pillage de l’océan est l’aboutissement d’un système économique extractiviste, soutenu par les institutions, qui détourne l’argent public au profit de quelques multinationales et au détriment des pêcheurs artisans, des écosystèmes marins et de l’intérêt général. Ces deux enquêtes explosives démontrent que la destruction de l’océan n’est pas une fatalité : elle est organisée, financée sur fonds publics et facilitée par la complicité des pouvoirs politiques avec quelques entreprises prédatrices, impliquées dans de nombreuses affaires de corruption, de pêche illégale, d'évasion fiscale ou de pollution marine.